[Critique] Qu’a-t-elle vu la femme de Loth ?, de Ioànna Bourazopoùlou
Lu dans le cadre de l’opération Masse Critique de Babelio.com. Merci à Ginkgo éditeur.
Prix de la revue Dekata, Prix de la ville d’Athène
Bienvenue aux portes d’un futur sans précédent. Qu’a t-elle vu, la femme de Loth ? est un monde fou loin des standards classés science-fiction.
Dans une Europe aux contours redessinés et dévastée par un cataclysme naturel, un Sel violet souterrain, remonté à la surface, devient une denrée plus précieuse que l’or et la plus addictive des drogues.
Privatisée par la Compagnie, une multinationale tentaculaire et mystérieuse, la Méditerranée est devenue un territoire commercial exploitée pour son Sel. Dans la Colonie, la micro société autarcique et totalitaire qui l’extrait, six fonctionnaires incapables de penser par eux-mêmes sont les pantins de cette société en huis clos. A l’extérieur, et pourtant omniprésente, la Compagnie qui les emploie y règne en maître par la terreur et la soumission.
Le petit monde de privilèges entièrement balisé des hauts dignitaires de la Colonie s’effondre le jour où le Gouverneur seul lien avec la Compagnie décède. Face à cette situation sans précédent et sans instruction réglementaire, ils sont perdus, soupçonneux et effrayés par la perte prévisible de leur statut social. Après des tentatives pour dissimuler cet état de fait, ils décident d’écrire chacun une lettre à la Compagnie pour rendre compte des faits précédant la macabre découverte, se dédouaner et donner leur donner leur point de vue sur les responsabilités de chacun.
Phileas Book, un journaliste du Times réputé pour ses « Lettres croisées » va se retrouver au centre de tous ces destins. Mandaté par la Compagnie, le journaliste britannique résidant à Paris, ville portuaire et siège de la Compagnie se voit confier la tâche minutieuse d’extraire des six lettres des dignitaires le sens de cet imbroglio et de démêler l’intrigue.
Loin des standards classiques de la science-fiction, l’auteure offre une alternative, un roman frais et original qui comblera les curieux. Une occasion de découvrir Ioànna Bourazopoùlou publiée pour la première fois en France. En quelques lignes, l’auteure plante son décor et définit les nouvelles frontières de son monde. Elle raye le bassin méditerranéen et plonge son lecteur en plein Paris les pieds dans l’eau.
En deux mots, une véritable curiosité. Résolument moderne par la présence d’une multinationale monstrueuse et sans âme et définitivement archaïque et régressive au sein même de la Colonie, le roman décortique un monde dément aussi effrayant que déshumanisé.
L’auteur décrit un monde qui oscille entre réalisme et situations improbables. La science-fiction n’est qu’un outil qui lui permet de projeter sur ce monde détérioré et dément la domination d’une société actuelle régit par la puissance économique. Certes, les situations sont discutables et le pitch de départ peu vraisemblable mais peu importe. Ioànna Bourazopoùlou livre un roman ahurissant où chaque personnage a peur de devenir fou, où la suspicion et la manipulation viennent à faire douter de la réalité.
Les personnages se révèlent tour à tour au fil de leur lettre. A la fois théâtraux et très humains, ils se débattent pour survivre. Le parti pris de vivre le l’histoire à travers les yeux de chaque protagoniste pour voir petit à petit les faits s’emboiter et se révéler est efficace. Une galerie de personnages complexes et hauts en couleurs, des unités de temps décalées, une écriture épistolaire, une écriture fluide et drôle ; autant d’atouts qui servent ce roman remarquable.
Passé une quatrième de couverture un peu curieuse, on est happé par une aventure qui vaut vraiment le coup. Un roman inclassable, qui mélange avec soin les genres, passant du burlesque au caustique. Un livre certes absurde mais un vrai plaisir inattendu.
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Genre : Science-Fiction
Auteur : Ioànna Bourazopoùlou
Traduit du Grec par Michel Volkovitch
Editeur : Gingko Editeur
430 pages
ISBN 978-2-84679-093-2
Prix : 23 €
Date de sortie : Juillet 2011
© Gingko Editeur