A la uneLITTÉRATUREPolar et thriller

[Lu !] Hiver rouge, de Dan Smith aux éditions 10-18

ROMAN – Hiver Rouge, un thriller historique d’une grande force et d’une grande beauté qui nous entraîne au cœur de la Russie, alors que la guerre civile provoquée par la Révolution russe de 1917 fait rage et que la Terreur rouge se répand dans un pays en proie à la peur et à la famine.

Novembre 1920. Alors que la Terreur rouge s’est abattue sur le pays et que les bolcheviks traquent les contre-révolutionnaires et les traîtres, Kolia déserte l’Armée rouge. Lassé des horreurs de la guerre, il n’aspire qu’à retrouver les siens. C’est pourtant un village déserté qui l’accueille. Les hommes ont été torturés et exécutés, les femmes et les enfants ont disparu. Un nom plane autour de ce mystérieux massacre : Kochtchei  l’Immortel, un sorcier terrifiant issu des contes russes… S’engage alors une véritable course contre le temps : Kolia doit retrouver sa femme et ses fils avant d’être rattrapé par ses poursuivants, une unité chargée de traquer et d’exécuter les déserteurs pour trahison.

C’est donc aux côtés de Kolia, homme mystérieux au passé trouble, que nous nous élançons à travers l’immensité russe, alors qu’un froid polaire s’abat sur le pays. Écrit à la première personne, le récit nous immerge immédiatement dans le contexte de guerre et de danger dans lequel évolue le personnage principal. Si Kolia se garde bien de révéler ses secrets au lecteur – et aux autres personnages – il partage néanmoins avec nous ses pensées, ses peurs et ses doutes, ce qui le rend particulièrement attachant et humain. Le périple qu’il entreprend gagne ainsi en émotion et en tension : on tremble pour lui, on s’inquiète de son sort, on ressent ses angoisses et sa fatigue. Au fil des pages, le lecteur est happé par le récit et ne peut que soutenir sa quête désespérée. Dense, passionnant, le texte convoque notre imaginaire et nos peurs primaires tandis que notre héros se révèle traqueur et traqué.

Hiver rouge nous entraîne de fait dans une double chasse à l’homme à travers les forêts et les steppes russes. Alliant petite et grande Histoire, le roman nous fait découvrir à travers les yeux de Kolia une période troublée de l’histoire russe, où le pays se déchire dans une guerre civile sanglante. Et c’est là la première grande force du récit : confronter ces deux formes de l’Histoire, en convoquant d’un côté la Révolution rouge, belle dans son idéologie mais lointaine – sont parfois évoqués des « ordres de Moscou » -, de l’autre le quotidien concret des habitants confrontés à son application violente, voire cruelle. Cet enjeu est fondamental puisqu’il habite le personnage de Kolia, ancien soldat révolutionnaire en quête de sa famille et de sa propre rédemption. Et c’est d’abord ce qui motive ce désir de retour au village natal : à l’image de son pays, le personnage est déchiré entre son devoir, ses idéaux, et la réalité. Ainsi, le roman se fait d’abord la voix d’une nature humaine complexe, tout en nuances, bouleversée par les événements. Pas de manichéisme chez Dan Smith : l’Homme, poussé dans ses retranchements, est capable du pire. Kolia est de fait en danger permanent, et constitue lui-même un danger pour autrui. Le lecteur comme le héros sont sans cesse en mouvement, sans cesse inquiets, sur leurs gardes : dans une époque où la Terreur est de rigueur, chaque personnage constitue un danger, un antagoniste potentiel, capable de trahison. Chaque être humain croisé, rencontré, lutte à sa façon pour sa survie et celle des siens. Dan Smith oppose la beauté de l’hiver russe et de ses paysages à la violence des affrontements qui s’y déroulent, aussi bien entre les armées qu’entre les individus, et c’est ce contraste qui nous frappe particulièrement et apporte une profondeur au récit, au-delà de la simple quête de notre héros.

Ainsi, les personnages contribuent pleinement à la crédibilité de l’intrigue et à l’émotion insufflée par le récit. À travers eux, Dan Smith reconstitue une époque difficile, lui donne corps, nous la présentant dans ses bons comme dans ses mauvais moments. D’une grande justesse, les comportements et caractères des personnages apportent au roman une véritable dimension dramatique, une complexité qui se rapproche du réel. Loin d’être anecdotique, chaque rencontre avec Kolia amène de nouvelles réflexions sur la nature humaine, sur les notions de Bien et de Mal, de devoir et de patriotisme, certaines entrant en conflit avec les autres. De fait, le roman donne également à voir un paysage humain et un paysage social où toutes les classes, tous les âges, sont affectés, d’une manière ou d’une autre, par la guerre civile entraînée par la révolution. Parallèlement, c’est tout un mode de vie, tout un imaginaire qui se révèle à nous, à travers les traditions, la connaissance des contes et l’amour de leur pays que partagent les personnages malgré leurs divergences. Bien documentée, l’œuvre de Dan Smith nous lie à tout un peuple le temps d’une chevauchée et nous offre un récit parfois dur mais d’une grande beauté.

Roman de guerre, drame personnel, thriller haletant, épopée à travers l’immensité russe, Hiver rouge se révèle une œuvre dense et extrêmement prenante qu’on a peine à laisser. Par l’évocation juste de ses personnages et par son écriture saisissante, le récit se dote d’un véritable souffle romanesque qui nous enflamme et nous tient en haleine jusqu’à la dernière page et la révélation finale. À lire absolument.


Auteur : Dan Smith
Format : 14,2 x 22,6 cm – 550 pages

Editeur : 10/18
Collection : Domaine policier
EAN : 978-2264069009
Prix : 8,80 €
Date de sortie : 20 octobre 2016

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