Clara et la pénombre, de Joé Carlos Somoza
José Carlos Somoza, Clara et la pénombre, Actes Sud, 2003 [2005 pour la version poche chez Babel]
Dans Clara et la Pénombre, José Carlos Somoza imagine un futur très proche – il projette son récit en 2006, soit quelques années après la date de publication du roman – dans lequel la pratique artistique s’est profondément modifiée. En effet, l’art s’exerce désormais, non plus sur des supports inertes, mais sur des corps humains. Ces toiles d’une nouvelle nature sont exposées dans des galeries, louées, vendues à des particuliers, parfois signées par des peintres renommés. Parmi elles, Clara, modèle professionnel, rêve d’être choisie par l’un des artistes les plus célèbres et les plus cotés de ce nouvel art « hyperdramatique » : Bruno Van Tysch. Cependant, l’impensable se produit : l’un des chefs-d’œuvre du peintre est détruit par un mystérieux criminel. Commence alors une course contre la montre afin d’arrêter le meurtrier avant la prochaine exposition, très attendue, de Van Tysch…
Une toile vivante
Le roman de Somoza est une véritable découverte. Il se distingue d’abord par l’originalité de son approche : la projection, dans un avenir très proche, de cette nouvelle forme d’art humain et l’exploration de son marché, de ses enjeux économiques et de ses dérives, immergent le lecteur dans un univers atypique, décalé, souvent malsain mais brillamment raconté. L’intrigue est solide et palpitante : la narration glisse d’un personnage à l’autre, créant des effets de tension et d’attente qui rendent la lecture particulièrement dynamique et intéressante. On suit ainsi l’enquête sur la destruction de la jeune toile de Van Tysch, tout en partageant le quotidien de Clara, qui n’aspire qu’à devenir un chef d’œuvre. C’est alors l’occasion de découvrir la difficulté de ce nouveau métier, les sacrifices qu’il implique, mais aussi les excès et les détournements qui l’accompagnent. Le monde de Clara est passionnant mais aussi très effrayant car l’humain, dans sa nature même, est mis en péril : ainsi la toile du brillant peintre, une adolescente, est-elle « détruite » et non pas « assassinée ». La problématique du coût de cette perte prime alors sur la vie – et la mort – d’une adolescente, qui disparaît totalement derrière l’art qu’elle incarne. Dans ce roman, les corps sont réifiés pour devenir, dans le meilleur des cas, des œuvres admirées – et dans le pire, des lampes, des tables, des éléments de décor qui peuplent les intérieurs des plus riches.
Ainsi, le récit ne cesse de monter en puissance à mesure que l’enquête progresse et que Clara semble se rapprocher de son rêve. La plume de Somoza donne vie à un roman unique, étrange, absolument captivant, qu’il faut lire à tout prix. Une véritable réussite.